Rouler sur une piste cyclable commanditée par une entreprise privée; en échange de donner son nom à une piste cyclable récréative, l’entreprise verserait une somme qui servirait à son entretien et son développement.
C’est une idée qui me trotte dans la tête depuis des mois.
J’y vois deux avantages frappants : on bénéficierait d’un financement accru qui permettrait d’accélérer le prolongement ou la mise à niveau des sentiers cyclables.
On pourrait soulager les municipalités et les MRC dont les budgets sont souvent limités. L’argent du privé pourrait suppléer aux coupes budgétaires des gouvernements.
Pour l’entreprise, il y aura aussi des points positifs : une visibilité certaine, associer sa marque à la santé, à l’environnement et à la mobilité durable, en plus de créer un capital de sympathie dans la communauté locale.
Soucieuse de son image, la compagnie voudrait s’assurer d’un meilleur suivi, comme la propreté, la signalisation et la sécurité de la piste cyclable.
Exemple: «L’Estriade – Thule»
Des entreprises liées au cyclisme et au sport pourraient possiblement être intéressées.
On pourrait voir naître des associations comme :
- L’Estriade – Thule
- Le P’tit Train du Nord – Sports-Experts
- La Route des champs – Argon 18
- Le Petit Témis – Premier Tech
- La Véloroute La Chaudière – Rocky Mountain
Ce n’est pas une idée sortie de nulle part. Ce genre de commandite existe ailleurs dans d’autres sphères d’activité. La Ville de Sherbrooke a entrepris de «vendre le nom» de certains de ses édifices à des entreprises privées.
Ainsi, le Quartier général de l’entrepreneuriat (QG), situé sur la rue Wellington Sud, porte désormais le nom de QG de l’entrepreneuriat Promutuel Assurance.
L’entente de droit nominatif, d’une durée de cinq ans, prévoit une contribution annuelle de 135 000 $, laquelle sera entièrement réinvestie dans l’entretien du bâtiment et dans les services offerts aux entreprises qui y évoluent.
Le Centre récréatif Rock Forest a aussi changé de nom pour le Complexe sportif Forage FTE. Le partenaire s’est engagé à verser 26 000 $ par an à l’infrastructure municipale pour les dix prochaines années.
Ailleurs dans le monde
Ça s’est déjà vu ailleurs dans le monde pour des infrastructures cyclables. Voici des exemples :
Banques & compagnies de services
- Banque Barclays (Londres, Royaume-Uni)
Parrainage des Cycle Superhighways et du système de vélos en libre-service (“Barclays Cycle Hire”), avec un apport de 25 M£.
Ensuite repris par Santander (bikes “Santander Cycles”). - Coca-Cola Zero (Dublin, Irlande)
Sponsoring du système DublinBikes (2014-2018), financements pour l’expansion des stations. - Just Eat (Irlande)
Commandite du service DublinBikes après Coca-Cola, donnant son nom officiel aux vélos pendant trois ans.
Industrie du sport & textile
- Adidas (Portland, États-Unis)
Financement et construction d’une portion protégée de piste cyclable sur N Greeley Avenue, près de son siège nord-américain. - Nike (Portland, États-Unis)
Sponsor principal du service de vélos en libre-service Biketown PDX, avec un apport de 10 M$ (2016).
Technologie & industrie
- Texas Instruments (Dallas, États-Unis)
Don de terrains + financement initial pour la création du Cottonwood Trail (≈ 56 km). - Amazon (Seattle & Bellevue, États-Unis)
Don de 7,5 M$ pour l’achèvement du sentier Eastrail et soutien financier mensuel (jusqu’à 400 $/employé) pour les déplacements à vélo. - Google (Mountain View, États-Unis)
A financé et construit des réseaux de voies vertes et pistes cyclables reliant ses bureaux à Mountain View.
Sports & divertissement
- Indiana Pacers (Indianapolis, États-Unis)
Sponsoring du système de vélos en libre-service Pacers Bikeshare, premier du genre à être soutenu par une franchise sportive.
Alimentation & restauration
- McDonald’s (Chicago, États-Unis)
Commandite du McDonald’s Cycle Center au Millennium Park, avec un don de 5 M$ pour l’entretien et la promotion du cyclisme urbain.
Sujet polarisant
Il faut être conscient qu’un tel sujet peut être polarisant dans le milieu du cyclisme.
Les fonds des instances gouvernementales, qui cherchent de nouvelles sources de revenus ou à diminuer leurs dépenses, ne sont pas inépuisables.
Devra-t-on faire face à un désintéressement de l’État dans le développement du réseau, de plus en plus achalandé?
Une telle révolution ne peut se faire sans un encadrement bien réfléchi.
Les citoyens peuvent craindre une appropriation de l’espace public par le privé et la publicité envahissante qui pourrait nuire à l’expérience des usagers. Pourrait-on créer une dépendance financière. Si l’entreprise se retire, les fonds pour l’entretien peuvent venir par manquer. Les secteurs jugés moins attrayants commercialement risqueraient d’être délaissés.
Il faudrait proscrire les affiches publicitaires, mais pour accepter des panneaux discrets annonçant que « cette piste est entretenue grâce au soutien de [Nom de l’entreprise] ». Le sponsoring serait surtout visible aux points d’accès ou dans la communication officielle, plutôt que sur la piste elle-même.
Bon encadrement
Bref, il faudrait considérer un modèle de commandite limité et encadré, définir des règles claires avec les MRC et les gestionnaires des réseaux cyclables avant de se lancer dans une telle aventure.
Seriez-vous prêt à pédaler sur une piste au nom d’une entreprise, si cela garantissait sa qualité et sa pérennité?
C’est une question qui pourrait se poser lors d’un prochain congrès de l’Association des réseaux cyclables du Québec qui aura lieu en novembre.
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